A. Mabon: Prisonniers de guerre «indigènes»

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Titel
Prisonniers de guerre «indigènes». Visages oubliés de la France occupée


Autor(en)
Mabon, Armelle
Erschienen
Paris 2010: Éditions La Découverte
Anzahl Seiten
298 p.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
André Vincent

L’histoire des prisonniers de guerre français est déjà bien connue, grâce aux travaux novateurs d’Yves Durand pour la Seconde Guerre mondiale ou ceux d’Annette Becker pour la Première. Le cinéma s’est également emparé de ce sujet, et l’a illustré – dans deux registres totalement différents – par des classiques comme La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937) et La Vache et le Prisonnier (Henri Verneuil, 1959).

La captivité de guerre française semble donc étroitement associée à l’Allemagne, tant il est vrai que ce pays a «hébergé», depuis la Guerre de 1870–71, des millions de soldats captifs de l’Hexagone.

Or, rares sont les historiens qui ont étudié la détention de militaires français sur sol français. Cet «oubli» est peut-être dû à l’origine de ces prisonniers qui appartenaient en grande majorité aux troupes coloniales françaises. Il est peut-être aussi à mettre en relation avec le fait que, dès 1943, ces prisonniers de guerre français furent placés non plus sous la garde de soldats allemands – qui, eux, seront réquisitionnés pour le front de l’Est – mais de sentinelles françaises.

Originaires d’Afrique noire ou du Nord, mais aussi de Madagascar, d’Indochine ou des Antilles, ces soldats «indigènes» furent près de 70 000 à être internés, après la capitulation de juin 1940, dans des Frontstalags répartis dans la France occupée. A la Libération, et au gré des remises en liberté successives mais au compte-goutte, des rapatriements sanitaires ou des évasions, ils sont encore près de 30 000 à attendre derrière des barbelés.

Spécialiste et même pionnière dans l’étude de cette question, Armelle Mabon nous livre ici les résultats d’une dizaine d’années de recherches, sous la forme d’un portrait détaillé de cette captivité particulière. En préambule, l’historienne nous rappelle aussi que les conditions de la capture ont, elles aussi, souvent été singulières, puisque plusieurs centaines de combattants «indigènes», surtout africains, ont été massacrés par les troupes allemandes au moment de leur reddition. Le souvenir traumatique de la «Honte noire» lié à la Première Guerre mondiale et l’idéologie raciste du Troisième Reich sont largement à l’origine des crimes de guerre contre des soldats coloniaux qui ont souvent tenu jusqu’au dernier moment face à l’avancée de la Wehrmacht.

La vie quotidienne dans les Frontstalags diffère peu de celle dans les Stalags en Allemagne: conditions de vie sommaires, hygiène précaire, … Pour les soldats des troupes coloniales s’ajoute encore la découverte d’un nouveau climat auquel il faut s’habituer surtout en hiver. Quant à la discipline, elle semble avoir été menée de manière plus expéditive dans les camps abritant des troupes coloniales que dans ceux des prisonniers français en Allemagne. Armelle Mabon montre cependant que les prisonniers «indigènes» ne furent pas laissés à leur propre sort, et qu’une solidarité nationale et surtout locale s’organisa pour soulager la précarité matérielle et morale des résidents des Frontstalags.

Armelle Mabon revient aussi sur la propagande active, mais contradictoire, à laquelle furent soumis les captifs des colonies et territoires d’outre-mer français. Car tandis que les Allemands se présentent à eux comme des anticolonialistes, en voulant susciter chez les prisonniers «indigènes» le rejet de leur patrie tutélaire (sans grand succès, semble-t-il), le gouvernement de l’État français leur demande une loyauté et une fidélité sans bornes à la figure du Maréchal et à l’idéologie, y compris coloniale, de la Révolution nationale. C’est dans ce cadre que doit se comprendre la création d’un service social colonial, chargé tout spécialement de distribuer des secours matériels et intellectuels aux prisonniers «indigènes».

Pour les prisonniers de guerre coloniaux, la libération de la France ne signifie toutefois pas forcément la fin de la détention. Quittant les Frontstalags, nombre d’entre eux sont «encasernés», dans des conditions sanitaires inquiétantes, dans l’attente d’un rapatriement qui peine à s’organiser. Le retour dans leurs foyers des soldats «indigènes» donne en effet lieu à de nombreuses difficultés et se heurte au laxisme d’une administration qui se soucie fort peu du sort réservé à cette catégorie de militaires. Des incidents sanglants émaillent même ces rapatriements, à l’image de celui qui est survenu dans la caserne de Thyaroye, près de Dakar: en décembre 1944, l’armée française tire sur d’anciens prisonniers coloniaux africains qui réclament le payement des arriérés de solde; et cette tuerie fait plus d’une trentaine de morts. Après-guerre, comme le souligne l’historienne, les anciens prisonniers «indigènes» continueront à être perçus par l’administration coloniale comme un problème récurrent, si ce n’est comme une menace, car ils seront l’objet d’une instrumentalisation par les mouvements indépendantistes naissants.

Un dernier chapitre traite de la question de la «zone coloniale de contacts des genres», c’est-à-dire de la rencontre des prisonniers coloniaux avec les populations françaises environnantes; du racisme ordinaire dont ils furent victimes, mais aussi des histoires sentimentales qu’ils nouèrent avec des autochtones. Armelle Mabon termine son étude en mettant en exergue le rejet, puis l’oubli qui entoura les anciens captifs des Frontstalags. Il faudra d’ailleurs attendre 2006 et la sortie du film Indigènes de Rachid Bouchareb pour que le grand public, et ensuite le pouvoir politique, s’émeuvent du sort réservé aux «oubliés de la République».

Basé sur une recherche en archives (qui, on peut le regretter, est parfois restée lacunaire), mais aussi sur de nombreux témoignages, écrits et oraux, d’anciens prisonniers de guerre, le travail d’Armelle Mabon doit être vu comme une première tentative permettant d’ouvrir des pistes de recherches. Il a aussi le mérite de lever le voile sur une page oubliée et occultée de la captivité de guerre durant le Second Conflit mondial, sans cependant – et fort heureusement – tomber dans le travers de la repentance très à la mode de nos jours.

Citation:
Vincent André: compte rendu de: Armelle Mabon: Prisonniers de guerre «indigènes». Visages oubliés de la France occupée. Paris, Éditions La Découverte, 2010. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 4, 2010, p. 507-508.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.03.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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